Sony, Apple, TI... quel est le point commun?
Ces dernières années, plusieurs grands fabricants de matériel portable hi-tech ont adopté une politique commerciale assez spéciale.
Parmi eux, on peut citer les Sony PSP/PS3, les Apple iPod/iPhone/iPad, et les Texas Instruments TI-Nspire.
Le but est de créer un marché fermé dont l'utilisateur se retrouve entièrement prisonnier et dépendant à la fois. D'un côté l'utilisateur ne peut sortir du marché sans perdre divers droits d'utilisation, et d'un autre côté l'utilisateur doit payer sans arrêt des montants négligeables pour de petites opérations quotidiennes banales, montants qui tous additionnés représentent toutefois un pactole colossal pour le fabricant.
Le système installé sur le matériel en question prive son propriétaire de nombreuses libertés.
Tous les matériels ci-dessus interdisent par exemple le
homebrew. Qu'est-ce que c'est? Vous en avez peut-être déjà fait sans le savoir... Il s'agit de logiciels/programmes/applications développés par un amateur
(non professionnel). Comment le matériel fait-il la différence? Les logiciels professionnels disposent d'une signature électronique. Si cette signature est absente ou non reconnue, le matériel refuse de lancer le logiciel. Pour obtenir cette signature, un développeur devra payer
(c'est assez dissuasif quand on développe bénévolement un logiciel gratuit) ou encore passer par un processus de validation
(une équipe officielle qui doit tester le logiciel), voire les deux à la fois. D'après les fabricants, c'est pour notre bien: il est donc impossible selon eux d'endommager le matériel en y exécutant du logiciel malveillant
(virus, chevaux de Troie...) ou buggué. En pratique, ce sont d'autres buts bien moins honorables qui sont visés par le fabricant. Il garde en effet ainsi un contrôle total sur l'offre logicielle disponible pour son matériel. Il peut donc librement décider des usages permis ou pas sur ce même matériel, et refuser de valider certains logiciels qui n'ont rien de malveillant. Accessoirement, il engrange aussi des revenus via le paiement des frais de signature/validation. Enfin, en interdisant certains usages, le fabricant pousse ainsi à l'achat d'un autre matériel pas forcément très différent électroniquement, mais qui lui autorisera ces usages.
Par exemple, les Sony PSP sont capables de surfer sur Internet, mais pas de lire les documents PDF pourtant très fréquents sur divers sites de nos jours. L'application homebrew le faisant existe depuis longtemps, mais Sony en interdit l'exécution.
Texas Instruments avait également lancé un système similaire pour ses calculatrices au début des années 2000: les applications disponibles aujourd'hui sur leur site étaient toutes payantes, et ceux qui voulaient en développer devaient également payer le logiciel de développement (SDK).
Sony encore, a bloqué la commercialisation d'un micro-clavier pour la PSP. Cela l'aurait sans doute rendu trop semblable à un pocket-PC.
Mais il ne faut pas non plus que l'utilisateur se retrouvant forcé d'acheter un autre matériel aille voire chez la concurrence... Pour cela, le fabricant se montre malin. Il autorise certains usages transversaux sur l'ensemble de sa gamme, afin de donner l'illusion d'une compatibilité, de donner une valeur ajoutée au fait de posséder une gamme/collection de matériels de la même marque. Mais d'un autre côté, il introduit dans son matériel des déviances par rapport aux standards internationaux, des verrous qui ne disent pas leur nom mais introduisent une incompatibilité totale avec le matériel de la concurrence.
L'on peut par exemple citer ici Sony, dont certaines œuvres MP3 ne peuvent/pouvaient pas être jouées sur du matériel concurrent.
Et évidemment, le système qui inclut ces verrous est très protégé. Des mises-à-jour, parfois automatiques/invisibles, viennent en corriger les failles, voire même en modifier le comportement en interdisant de nouveaux usages. Il est parfois impossible de le désinstaller, d'installer un système tiers
(Linux pas exemple), ou de "downgrader"
(revenir à une version antérieure à laquelle on était habituée ou qui marchait mieux).
L'on peut ici citer Texas Instruments, qui a interdit le downgrade sur son dernier système Nspire 2.1, empêchant ainsi l'exécution de homebrew que permet le système 1.1.
De nos jours, tous ces matériels portables hi-tech contiennent des processeurs tout à fait standards. Ce sont donc de véritables ordinateurs, mais dont l'usage est bridé par le fabricant. Imaginez donc que vous deviez acheter un ordinateur pour faire de la bureautique, un ordinateur pour surfer sur Internet, un ordinateur pour jouer, un ordinateur pour créer des sites Internet, un ordinateur pour téléphoner... Imaginez aussi que vous deviez acheter une télé pour regarder TF1, une télé pour regarder les chaînes de France Télévision, une télé pour regarder Canal+... C'est ridicule? Inimaginable? C'est pourtant ce qui se passe depuis des années avec le matériel portable hi-tech.
Il faut:
- payer le matériel
- payer à la demande pour certains usages
- payer pour développer
- repayer un autre matériel
(pourtant intérieurement très similaire) si jamais nos usages sortent d'un ensemble défini unilatéralement par le fabricant...
Sous le prétexte de la lutte contre le piratage, ce sont de véritables prisons électroniques qui se sont constituées, payantes de plus, punissant non pas les pirates, mais principalement les utilisateurs de bonne foie, condamnés à toujours payer et repayer sans pouvoir aller voir ailleurs.
Des années de combat et de travail acharné et d'évolution en informatique vers la compatibilité et l'interopérabilité, notamment via la définition de standards internationaux, sont entièrement bafouées par ces fabricants.
Une pratique s'est donc développée sur les matériels concernés, celle du "jailbreak"
(littéralement, "évasion de prison" et c'est le cas de le dire...). Il s'agit de passer outre les protections du fabricant, afin de permettre notamment l'exécution de logiciels
homebrew. La mise-en-place est très variable selon le matériel concerné. Parfois, il suffit d'une simple combinaison de touches... Parfois, il faut des outils coûteux! Le
jailbreak utilise des failles du matériel ou du système, afin de passer outre ses verrous, de les désactiver de façon temporaire ou définitive, voire de désinstaller le système
(et donc les verrous) au complet.
L'on peut citer ici Ndless qui permet d'exécuter des homebrew sur les TI-Nspire munies du système 1.1, ou Nleash qui rend possible le downgrade à partir du dernier système 2.1.
Cette pratique est jugée illégale par les fabricants.
Pourtant, si le matériel nous appartient, ne peut on pas en faire ce que l'on veut?
Hélas, certaines lois qui sont passées ou ont essayé de passer ces dernières années en France, se mettaient clairement du côté des fabricants, interdisant de passer outre leurs verrous. Quelques amendements concernant la compatibilité ou l'interopérabilité sont passés, mais sont tristement qualifiés d'exceptions et non de droits.
Aberrant au pays de la liberté et des droits de l'homme, non?
Paradoxalement, c'est des États-Unis que nous est parvenu un signal fort en juillet dernier.
Le
jailbreak des téléphones portables
(notamment l'iPhone) a en effet été reconnu comme légal. Les utilisateurs ont donc désormais le droit de casser les verrous des fabricants afin de lancer des
homebrew sur leur téléphone, voire de remplacer complètement son système.
De là à ce que cela concerne nos calculatrices, il n'y a qu'un pas!
Il faut espérer que cette décision sera suivi d'une législation similaire en Europe, et que les fabricants tels TI, cesseront alors de perdre du temps à développer des verrous limitant les libertés de l'utilisateur, et profiteront alors de ce temps gagné pour améliorer les fonctionnalités de leur système, élargissant ainsi les libertés de ces mêmes utilisateurs.
Il faut prier, pour que la Nspire soit un jour libérée. C'est en effet paradoxalement et ridiculement la calculatrice la plus puissante de toute la gamme, mais aussi celle avec laquelle on peut faire le moins de choses!